Au sujet du projet Body Missing (Porté disparu)

C 'est toujours la même histoire. Je crois que vous la connaissez bien. Comment Hitler et les troupes d 'élite du régime nazi saisissent des oeuvres d 'art dans des collections privées et publiques de toute l 'Europe, par tous les moyens, dont le vol et la vente forcée. Les plus grandes d 'entres elles sont destinées au projet de musée à Linz et entreposées à cette fin dans les mines de sel toute proches d 'Alt Aussee.

Vous vous rappelez aussi qu 'Eigruber, le fonctionnaire nazi responsable de la région de Linz, ordonne de placer des bombes dans les mines et de les faire détoner avant l 'entrée des Alliés que les mineurs (et bien d 'autres, à la longue) s 'attribuent le mérite d 'avoir saboté ce plan et sauvé l 'art; que parmi les premiers représentants officiels arrivés durant la libération de l 'Europe, précédant parfois tous les autres, se trouvent les experts en art, qu 'ils ont pour tâche de trouver les caches, de récupérer et de restaurer les oeuvres et de réunir la documentation à leur sujet, et d 'entreprendre leur renvoi aux propriétaires légitimes

Bien qu 'en définitive on ne fasse pas sauter les mines de sel de l 'intérieur comme prévu, dans la confusion il est difficile de déterminer ce que contiennent réellement les réserves.

Une fois le transitbar installé à l 'Offenes Kulturhaus de Linz et adopté par les artistes exposant à l 'étage, les conversations qui s 'y déroulent tournent parfois autour des questions sans réponse sur l 'art disparu. Peu à peu, les habitués apportent des listes, des photos, des rapports, découverts d 'une façon ou d 'une autre, souvent contradictoires, et ils essaient de faire ce que leurs homologues d 'il y a 50 ans ont déjà tenté: déterminer les oeuvres d 'abord entreposées à Alt Aussee pour le Führermuseum et qui ont, on ne sait comment, disparu.

Quand tout demeure mystérieux, la conversation s 'attarde facilement à des oeuvres particulières, qu 'elles soient destinées ou non à Linz, et quelqu 'un peut aisément dire, « J 'ai toujours été curieux des Canolettos disparus. » Ou un autre secoue la tête et regrette la disparition d 'un certain Courbet connu simplement par son titre, personne ne se rappelant avoir vu le tableau même. Une femme voit presque l 'esquisse perdue d 'une peinture de Tintoret qui n 'a survécu qu 'en photos. Un nouveau venu souligne la nature fondamentale de la perte et dit n 'avoir aucun désir de retrouver tel ou tel tableau. « C 'est totalement démentiel, dit- il. Ce l 'était à l 'époque et ce l 'est maintenant. »

Pourtant, un à un, les artistes se laissent fasciner par certaines oeuvres et un plan pour les restituer semble naître de lui-même.

Toutefois, ces répliques ne seront pas de simples imitations. Ça ne serait pas intéressant. Le plan qui émerge consiste en la production de liens visuels entre la pratique d 'atelier actuel et des oeuvres particulières ayant disparues; un geste.

Le transitbar a maintenant cédé sa place. Depuis quelques semaines, une autre installation occupe l 'espace du vieux sous-sol. C 'est à nouveau un restaurant végétarien abordable, bondé les week-ends. Mais dans les salles, les escaliers et les corridors, au-dessus et en-dessous, demeure une incessante activité.

Certains artistes travaillent dans l 'anonymat et ont demandé le respect de leur intimité. D 'autres sont prêts à inclure le spectateur dans leurs recherches et sont présents :
Joanna Jones, Alice Mansell, Mickey Meads, Bernie Miller, Piotr Nathan, Daniel Olson, Jeanne Randolph, Michel Daigneault et Stephen Schofield, Judith Schwarz, Betty Spackman et Anja Westerfrölke. Vous pouvez accéder à leur atelier par l 'entremise de leur Stammtisch favorie au bar.


Une invitation:

Les compte-rendus sur l 'impact du vol institutionnalisé d 'oeuvres d 'art pratiqué par le Troisième Reich sont contradictoires. Certaines oeuvres que l 'on croyait perdues à jamais refont surface dans les plus grands musées et maisons aux enchères du monde. Puisqu 'il est difficile de distinguer entre les pertes réelles et les simples dissimulations, entre les vols et les réapparitions dans les collections privées et publiques sous un autre nom ou origine, la signification de ces absences continuera de changer. Si ces questions vous intéressent et que vous souhaitez participer à la discussion en mots ou en images, envoyez-nous un message à artworks@york.ca .


On a monté le transitbar une première fois à Kassel en 1992, puis à Toronto en 1994. Entre ces deux manifestations, le bar a inspiré le projet Body Missing (Porté disparu), une recherche entreprise par Vera Frenkel à Linz sur les événements entourant le Hitlermuseum qu 'on avait projeté y construire.