LE DÉPART

Auteur Enza Gallo-Intraligi

Vous ne trouverez ici que le parcours bien ordinaire d’une émigrée et la modeste réitération de sentiments communément partagés par tous ceux qui se sont sentis obligés,  à un moment ou un autre, de couper les liens avec leur passé. Mais quelle amertume, quelle désolation vous y verrez!  Il s’agira, en toute honnêteté et candeur, de vous divulguer mon vécu, de mettre à nu le fond de mon âme sur un fait marquant de ma vie : le départ. Un mot dont la simplicité n’ôte rien au poids qu’il détient. Un bien petit mot pour porter le lourd fardeau émotif dont il s’est chargé à deux reprises dans ma vie.

 

Quels souvenirs me reste-t-il de ces moments passés mais à jamais ancrés dans ma mémoire? Aucun son, aucune voix. Pas d’odeur ni de geste. Deux images poussiéreuses confondues par le temps, écornées et usées par les multiples regards portés sur elles. Deux moments de solitude espacés mais liés inexorablement l’un à l’autre par le destin et la mémoire ravageuse. La similitude dans la différence. C’était un autre pays que je quittais, mais un pays tout aussi mien que le premier.

 

J’étais le portrait d’un être en fuite. Que l’on en finisse, criait tout mon être impuissant face au destin. Rien ne pouvait traduire ce que j’éprouvais. Des larmes j’en avais, mais au fond des yeux, à l’endroit où elles brûlent le plus, là où elles prennent toute leur vraie signification.

 

Où sont passés les témoins de mon déchirement? Que sont devenus ceux qui par leur présence auraient pu m’aider à en faire le deuil? Disparus à jamais dans la poursuite du temps qui efface tout sur son passage à l’exception des traces les plus dévastatrices. La force libératrice émanant du récit d’un événement passé, me vient irrévocablement niée.

 

Quarante années se sont écoulées depuis, et pourtant c’est avec une force inaltérable que les souvenirs jaillissent en moi. Le franchissement des frontières pour d’autres cieux ne s’est pas effectué dans un élan ardent vers l’Autre. Au contraire, il s’est accompagné d’un nouement étroit avec mes origines. Nous, les émigrés, sommes à tout jamais condamnés à porter, jusqu’à ce que la mort nous emporte, les plaies du départ.