Mots-valises
Les mots-valises
bouclés, on s’embarque dans une traversée sémantique destinée à dépasser les
limites lexicographiques. En effet,
l’accouplement des mots provoque bien souvent des errances significatives qui
transportent le commun des mortels dans des univers encore mal façonnés par le
langage. « La
plupart du temps, le télescopage à l’origine du mot-valise consiste à combiner
la partie initiale d’un mot et la partie finale d’un autre mot, et à unir les
sens respectifs de ces deux formes. »[1] Happés par l’haplologie[2],
les mots s’étreignent tendrement pour faire violence aux définitions des dictationnaires[3]
et des encyclopédantes.
Les diconoclastes[4]
abondent, en commençant par Alain Créhange qui s’en prend aux mécontemporains, ces êtres qui se
plaignent constamment d’être nés à l’époque actuelle. Ou cet autre Alain, celui-là Finkielkraut,
qui a écrit deux ouvrages dédiés à la valorisation des mots-valises[5]
dans lesquels on trouve le mélancolis,
paquet en souffrance, ou la constipassion,
amour parcimonieux. Puis il y a le requinquina de Michel Laclos, apéritif
tonique à base de poisson. Ou le documenteur d’on ne sait plus trop
qui.
C’est
vrai qu’en donnant illico une définition au nouveau mot, les révolutionnaires
lexiques ont tendance à reproduire, malgré la subversion inhérente, les mêmes
structures assujettissantes des ouvrages de référence. Néanmoins, d’inspiration ludique et d’intérêt
critique, le mot-valise (ou collage verbal,
emboîtement lexical, amalgame, mot-centaure) invite le langage à s’ouvrir sur
un tiers espace, là où s’instaure un dialogue entre les sens le composant.
Bien qu’il y ait en effet fusion, amalgamation et symbiose
orthographique, la force et la réussite du mot-valise tient et vient de sa
résistance à la fonte totale. En effet,
pour qu’un mot-valise ait la force de frappe souhaitée, ses deux composantes
doivent encore pouvoir se reconnaître individuellement. Ce n’est donc
pas une absorption-assimilation (ce qui pourrait se produire avec le temps,
comme c’est le cas pour le mot brunch[6]
par exemple), mais un côtoiement intime où s’exerce un dialogue sémantique.
Alors
que dire des mots-valises bilingues, ceux qui ne se contentent pas de voyager
dans un même pays linguistique, mais qui décident de longer les frontières, aux
interstices de la négociation culturelle.
D’après le Dictionnaire des mots valises, ils sont le lot des bidingues, individus qui délirent en
deux langues (et ils n’ont rien à avoir avec les patadrads[7],
traductions qui ne tiennent pas debout ou les interprêtres[8],
religieux bilingues).
Mais
loin de vouloir vous endodoctriner[9] avec des élucubrations de terroricienne[10],
en voici quelques exemples :
Dayplacement : Aller ailleurs, pendant une journée,
histoire de se changer les idées.
Exemple : Son dayplacement dans les Laurentides lui a fait le plus
grand bien.
Dumbmination : Le fait d’exercer une influence
abrutissante. Exemple : Tout
discours sur la mondialisation se doit de mentionner la dumbmination américaine
qui sévit à l’heure actuelle.
Mouvemeant : Action délibérée et
significative. Exemple : Dans un
mouvemeant désespéré pour raviver l’amour de sa damoiselle, il a tatoué le nom de
la belle sur son coeur.
Trabduction : Action d’un individu qui s’empare,
capture le sens d’un texte et qui, moyennant rançon, accepte de le transmettre
dans une autre langue. Exemple :
St-Jérôme, qui a avoué « ad sensum exprimere de sensu », est
probablement le trabductor le mieux connu dans l’histoire de la
trabduction.
Transelation : Transfert exalté et euphorique. (Ce
terme est également un mot-valise en anglais seulement, en quel cas il signifie
« moment de joie aigu ressenti par le traducteur lorsqu’il réussit à
trouver un jeu de mot aussi intelligent dans la langue d’arrivée que celui
présent dans la langue de départ ».)
Transfair : Déplacement qui s’effectue en toute
équité. Exemple : Contrairement aux
transenfers, les transfairs sont des plus agréables. À ne pas confondre avec Transfare : Victuailles
en transit.
Wandeuxring : Errance qui se fait à deux, en
couple. Exemple : We were
wandeuxring the city, in love.
[1] Office québécois de la langue française : http://66.46.185.79/bdl/gabarit_bdl.asp?Th=3&id=4099
[2] Une haplologie,
ou hapaxépie, est l'amuïssement d'un ou plusieurs phonèmes répétés ou
proches : http://fr.wikipedia.org/wiki/Haplologie.
[3] Formule de Bruno San Marco
[4] Alain Créhange : http://www.volkovitch.com/
[5] À savoir, Petit
fictionnaire illustré et Ralentir : mots-valises !
[6] Brunch : Breakfast et lunch.
[7] Michel Volkovitch : http://www.volkovitch.com/
[8] http://francoib.chez-alice.fr/motvalis/index.htm
[9] Mettre
en sommeil le sens critique de quelqu'un. Michel Volkovitch : http://www.volkovitch.com/
[10] Théoricien
plutôt sûr de lui. Michel Volkovitch, http://www.volkovitch.com/