Déplacement par
conception d'idées
François Gleyses
Propos déplacés
Bien assise sur sa bienséance, la langue française ne cherche pas du tout à dissimuler sa grogne contre tout ce qui bouge. En principe, elle n’en veut pas au déplacement, substantif descriptif et inoffensif en soi, mais s’en prend à tous ceux qui osent en user : les déplacés - ces incontinents!
Une place pour chaque chose et chaque chose a sa place. Une parole pertinente, légèrement déplacée, devient du coup impertinente. Une lettre d’amour décente, envoyée à la mauvaise adresse, a tôt fait d’être indécente. Un petit coup à gauche, et tout ce qui était correct devient incorrect, petite tape à droite, et tout ce qui était dû s’avère indu.
Pirouettes révérencieuses ici, manières affectées là-bas.
Puis, ces nuages qui osent s’avancer devant le soleil? Que d’insolence!
Il est congru de commettre un crime à minuit, c’est l’heure après tout, mais incongru de boire avant midi. Il suffit qu’on change d’humeur pour que le chansonnant devienne dissonant, le mélodieux inharmonieux. Suffit qu’on s’emporte pour que les saints deviennent malsains, et l’éduqué mal élevé.
Bienvenus sont les voyageurs, à moins qu’ils ne deviennent itinérants – c’est malvenu d’être sans le sou et malséant de rester debout.
De l’élégante à la grossière, il ne faut qu’une frontière, et de l’employé au muté qu’une demande de transfert. Puis, tout le monde sait bien que, dans le temps de le dire, tous les pudents se transforment en impudents et les portuns en importuns. Et vice versa, irrespectueux, scabreux.
Gare aux accidents, c’est choquant et blessant.
Les secrets qu’on chuchote cheminent indiscrets et les portes qu’on claque se ferment inopportunes. Le couteau en argent qui transperce une poitrine est impoli, et la nonne qui abandonne le couvent est inconvenante.
Langue étrange, son histoire est hors de propos. Les déplacés sont malsonnants avec leurs accents. Un jour citoyen, l’autre réfugié, le lendemain évacué. Banni de son espace, avec le temps, ils devient intempestif.
Avant de mourir destitués à force d’être situés, faisons place au déplacé.
(Texte composé à
partir des 30 synonymes du mot « déplacé », répertoriés dans le
dictionnaire des synonymes de l’Université de Caen : http://elsap1.unicaen.fr/dicosyn.html)