Métissage

Auteur: Beatrice Waithira

Zap Mama a commencé comme un groupe, mais depuis quelques années déjà Marie Daulne, la fondatrice et chanteuse principale d’origine Congo-Belge, fait carrière solo. Le métissage culturel de Marie constitue la base de sa musique. Elle le confirme elle-même  en disant : «J’ai pris les meilleures choses du monde africain, et les meilleures choses du monde européen pour créer ma musique. »[1]  

 

Marie explique l’origine du nom Zap Mama.  « Zap pour signifier qu’on passe d’une culture a l’autre. Mama pour la mama terre, la terre mère. On naît tous d’une maman et nous sommes tous les enfants de la Terre. »[2] . « ‘zapper’ d’un monde à  un autre . Je suis issue de deux cultures, la culture Africaine et européenne. Mon message est donc d’être ouvert à  toutes les cultures. »[3]  

 

Marie Daulne chante en plusieurs langues, notamment en français, en lingala , en anglais, et en swahili. De ce fait, elle incarne bien « the polyglot » comme le définit Braidoti dans Nomadic Subjects . “The complex muscular and mental apparati that join forces in the production of language combine in the polyglot to produce strange sounds, phonetic connections, vocal combinations and rhythmical junctions. A polyglot [has the] capacity to slip between the languages, stealing acoustic traces here, diphthong sounds there.”[4] . C’est exactement ce qu’on peut entendre en écoutent un album de Zap Mama. Marie combine avec prouesse la technique vocale des pygmées, l’accapella et le mélange de langues différentes. Dans l’album  Adventures in Afropea 1, Marie nous fait découvrir le pouvoir de la voix humaine en produisant des sons incroyables. Par exemple, dans le titre « Plekete », elle produit le son d’une sirène seule par sa voix. C’est vraiment étonnant.

 

On remarque aussi le métissage culturel entre L’Afrique et l’Europe à travers l’écriture de certains titres. Par exemple, lorsqu’on écoute le titre « I Ne Suhe » dans  Adventures in Afropea 1 pour la première fois, on croirait entendre une langue africaine. Ors, en écoutant plus attentivement, on se rend compte que ce que l’on entend n’est rien d’autre que l’expression française « À tes souhaits » qui a été ingénieusement transformée, donc métissée.  Un autre exemple du mélange de l’écriture française avec l’écriture africaine est le titre « Wadiyusay »  dans l’album Ancestry qui est une transformation de «  What did you say ? ». 

 

Néanmoins, on remarque une difference entre les deux albums mentionnés. Cette transformation a eu lieu lorsque Marie Daulne a quité la Belgique pour s’installer aux États-Unis. L’album Ancestry a été produit en Amérique et il reflète le métissage entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique.  Marie y collabore avec des artistes Américains, notamment Erikah Badu, Common et ?uestLove. On y retrouve aussi du rap, qui est un style de musique typiquement afro-américain.  Tout de même, Marie insiste que « Oui, les voix ont toujours cette place importante, mais disons que le message prendra plus de place. Dans cet album il s’agit de raconter des histoires, faire passer un message. Et bon, mon message est toujours le même »[5]. Elle remarque aussi « qu’il n’y a pas vraiment de frontière entre tout ce que j’ai pu faire. Quand je faisais de l’a capella, je faisais de la soul, du reggae et plein d’autres choses. Si aujourd’hui on ne sait plus où me classer, le travail de polyphonie reste le même »[6]

 

Marie explique que « Zap Mama a effectivement commencé par l’a capella. Nous avons travaillé cinq ans uniquement sur des compositions vocales. Puis nous avons arrêté le concept pour aller plus loin dans le mélange. Nous avons introduit les instruments pour donner aux voix un autre support. Essentiellement des instruments traditionnels pour retrouver des sons populaires africains, comme la guitare congolaise ou les basses d’Afrique de l’Ouest. Un univers que nous avons exploré pendant sept ans. La troisième étape a commencé quand je suis allée aux États-Unis avec mon bagage musical à la rencontre du hip-hop. J’avais été séduite par ce que faisait les Roots et notamment un des membres du groupe, Razel, avec ses performances en human beat boxing (boîte à rythme humaine). La rencontre a été magnifique »[7].

 

Sur la page Internet de Zap Mama, Marie Daulne fait une remarque très intéressante sur le mouvement du son et de la musique à travers les continents. The American beat is a revolution all over the world…Everybody listens to it and everybody follows it. But the beat of the United States was inspired by the beat coming from Africa. Not just its structure, but the sound of it. This is the source of modern sounds, the history of the beat, starting from little pieces of wood banging against one another, and arriving on the big sound-systems today. It's genius. So I wanted to create an album about the evolution of old ancestral vocal sounds, how they traveled from Africa, mixing with European and Asian sounds, and were brought to America. It is the musical side of documenting Ancestry in Progress. It is part of Zap Mama's continuing exploration”[8]. “Little pieces of wood banging against one another” fait penser aux « tout petits liens » dont parle Francois Laplantine. À partir du son produit par de petits bâtons en bois, ont est arrivé au son produit par les grands sound-systèmes. Cela ne me surprenant que le rythme musical des sound-systèmes puisse aussi avoir ses sources en Afrique puisque L'Afrique est considéré comme le berceau de l'humanité.

 

Une autre chose intéressante est que Zap Mama a une plus grande notoriété aux États-Unis qu’en France. « Le public français n’est-il pas encore prêt pour votre musique métissée ? » lui demande  Nabila Benladghem lors d’une entrevue tenue en octobre 2004. La réplique de Marie Daulne est la suivante: « Je suis en effet très étonnée par cela. Je me demande toujours pourquoi je ne suis pas plus reconnue en France. Ceux qui détiennent les radios et les télévisions se ferment à certaines musiques. Au niveau du public, il est impossible qu’il y ait fermeture, puisque le métissage est aujourd’hui un des traits de la population française. Je ne comprends pas la frilosité et le conservatisme des médias français »[9].

 

J’irais encore  plus loin que Marie Daulne et je dirais que le métissage est l’un des traits de bon nombre d’autres populations, pas seulement celle de la France. Malheureusement, il y a quand même un bon nombre de personnes qui considèrent le métissage culturel comme une menace à combattre. Espérons que des artistes comme Zap Mama parviendront à changer la perception de ces personnes à travers leur musique.

 

 

 

 



[1] Chloe, [0110] Interview Marie Daulne, Zap Mama: Roots. 25 septembre 2006. <www.indymedia.be/node/4189>

[2] Zap Mama : l’imaginaire au service du rêve. Marie Daulne, sa carrière et son dernier album « Ancestry in progress ». 29 octobre 2004. <www.afrik.com/article7827.html >.

[3] Chloe, [0110] Interview Marie Daulne, Zap Mama: Roots. 25 septembre 2006. <www.indymedia.be/node/4189>

[4] Braidotti, Rosi. Nomadic Subjects: embodiment and sexual difference in contemporary feminist theory. New York: Columbia University Press, 1994 , 13.

[5] Chloe, [0110] Interview Marie Daulne, Zap Mama: Roots. 25 septembre 2006. <www.indymedia.be/node/4189>

[6] Zap Mama : l’imaginaire au service du rêve. Marie Daulne, sa carrière et son dernier album « Ancestry in progress » 29 octobre 2004. <www.afrik.com/article7827.html >

[7] ibid

[8]Zap Mama : Biography . <www.zapmama.be/> 

[9] Zap Mama : l’imaginaire au service du rêve. Marie Daulne, sa carrière et son dernier album « Ancestry in progress » 29 octobre 2004. <www.afrik.com/article7827.html >