Classics in the History of Psychology

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Christopher D. Green
York University, Toronto, Ontario
ISSN 1492-3173

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Le Laboratoire de Psychologie Expérimentale de l'Université de Madison.

M. Henry De Varingny (1894)

First published in Revue Scientifique, 1, 624-629.

Posted August 2000


Le laboratoire dont il s'agit, créé et dirigé par M. Joseph Jastrow, qui n'est point un inconnu pour nos lecteurs, figurait dans les galeries de la vilaine bâtisse -- j'ai presque dit baraque -- qui, à Chicago, l'an dernier, donnait abri à la science anthropologique. Dans cette bâtisse, on trouvait de tout un peu, dans le désordre le plus complet. A côté de collections anthropologiques très intéressantes, relatives aux mound builders et aux cliff dwellers, s'étalaient des modèles de cabinets d'aisances perfectionnés -- le dernier «cri» du cabinet d'aisances -- et non loin de collections ethnographiques sérieuses, on pouvait voir «le» seul filtre parfait exhibé avec une entente commerciale tout américaine, unie au plus parfait mépris de la vérité, tandis que plus loin se prélassait un modèle de chaise à électrocution, entre un mammouth postiche et une collection de papillons exotiques. C'était le chaos: mais dans cet amas uniforme il y avait quelques diamants: le tout était d'avoir la patience de les chercher. Le laboratoire de psychologie n'était pas très facile à trouver. Relégué dans les galeries, il occupait deux petites pièces écartées, où la foule ne passait guêre. Le hasard m'y conduisit: mais j'en connaissais l'existence, et ce que le hasard n'eût point fait ce jour, la volonté l'eût réalisé le lendemain. J'eus la bonne fortune d'y rencontrer M. Joseph Jastrow, et, avec lui, d'examiner son installation toute une après-midi durant. Il n'est que justice de le remercier de la peine qu'il a prise: après tant de visites analogues, après tant de redites, it eût été excusable de se dérober. N'ayant point visité les laboratoires de psychologie d'Allemagne, je n'avais encore jamais vu pareille réunion d'instruments et de méthodes, et cette installation de M. Jastrow doit être considérée comme une des plus heureuses innovations. Ce qui était très ingénieux encore, c’était l’idée d'offir au public d'examiner quiconque le désirait, au moyen des appareils exposés, et de lui donner les résultats de cet examen moyennant la modique somme de 2 fr. 50. L'examen durant quelque chose comme deux heures, ce n’était point une affaire d'argent, on le devine.

Le but était de montrer les méthodes et, par elles, de recueillir le plus de données nouvelles possible, malgré l'inconvénient grave qu'il y a à opérer dans une salle où le public circule sans cesse, interrogeant et donnant des distractions. L'examen consistait en une série d'épreuves psycho-physiques successives. Pour gagner du temps, et n'avoir point à recourir sans cesse à des tentatives peut-être infructueuses pour découvrir des transitions en passant d'une matière à l'autre, je procéderai par simple énumération.

1. On s'assied devant une table et l'on passe la main derrière un petit écran; elle y rencontre cinq petites barres horizontales qu'elle parcourt et tâte successivement. Ceci fait, on indique, en plaçant dans chaque barre une petite cheville (numérotée 5, 4, 3, 2, 1, et 5 devant désigner la plus longue) la longueur relative que semblent avoir ces barres. Les longueurs extrêmes sont 150 et 219 millimètres, la progression étant du dixième chaque fois. Cette épreuve est ensuite renouvelée avec une série où la progression est de un vingtième. Cela s'appelle juger des longueurs par les mouvements des doigts, et c'est la conscience musculaire, la conscience des efforts produits par la contraction des muscles qui fournit les éléments de l'appréciation.

2. Cette fois il s'agit de juger des différences de poids. [p. 625] Voici une série de cinq petits cubes de mêmes dimensions et apparences, pesant 300, 320, 341,3, 364,1, et 388,4 grammes (proportion d'accroissement de un quinzième): une autre série va de 310 à 342 grammes, avec proportion d'accroissement de un trentième. Il s'agit de prendre tour à tour chaque cube entre le pouce et l'index et de les disposer par ordre de poids, une fois la série passée en revue. Ici le sens musculaire et la sensibilité à la pression entrent toutes deux en jeu.

3. Sensibilité tactile. C'est l'expérience de Weber: il s'agit de savoir quel écartement il faut donner à deux pointes, pressant de façon toujours indentique sur la peau, pour qu'il y ait perception nettement double. On sait qu'en beaucoup de parties du corps cette perception est très obtuse: au cou, par exemple, on ne sent qu'une pointe alors que les deux sont à près de deux centimètres l'une de l'autre; la langue par contre distingue deux pointes, alors qu'il n'y a pas un vingt-cinquième de centimètre de distance entre elles. Toutefois on ne peut entrer dans les détails de cette étude qui exigerait que le suject se déshabillât, pour examiner la sensibilité du dos, des cuisses, de la région abdominale, et on s'en tient à la sensibilité de l'extrémité de l'index. En moyenne, on distingue deux pointes dès que l'écartement est de 2 millimètres et demi. Pour cette épreuve on emploie une série de petits esthésiomètres à écartement fixe, variant entre 1 et 6 millimètres par exemple, par demi-millimètre; leur pression est toujours identique.

4. Appréciation des différences de rugosité des surfaces. En enroulant -- autour d'une planchette par exemple -- des fils de fer de calibres différents, on obtient des surfaces inégalement rugueuses formées par la juxtaposition desdits fils. Plus le fil est fin, et plus la surface semble unie. Ici, il y a cinq surfaces à apprécier, formées par des fils dont le plus petit a 0c,125 de calibre, et les autres ont des calibres qui vont en augmentant d'un quart; dans une autre série, le point de départ est le même, mais les différences successives de calibre sont moindres, de un huitième. Le patient commence, comme toujours, par la série la moins fine, en passant l'index de la main droite à travers cinq orifices d'un rideau ou écran; il tâte de la sorte chaque surface sans la pouvoir apercevoir et, ceci fait, indique l'ordre où il croit devoir classer les différentes surfaces au point de vue de la rugosité. Après quoi, il fait la même opération pour la série fine. On pourrait de même se servir d'étoffes de grain différent, mais l'emploi des fils de fer offre cet avantage que les différences objectives se peuvent exprimer exactement, et numériquement, ce qui serait difficile avec des étoffes.

5. Une dernière épreuve sur la sensibilité cutanée consiste à se faire comprimer un doigt par un appareil formé essentiellement d'une pointe mousse buttant sur un resort. L'appareil est gradué et indique les pressions opérées en quarts de kilogramme: l'opérateur l'appuie sur le doigt du patient (face palmaire de la phalangette du médius droit) jusqu'à ce que le patient accuse de la douleur. C'est l'épreuve de la sensibilité à la douleur. Mais c'est bien vague, la douleur, c'est bien relatif … Je m'en suis bien aperçu -- une fois de plus -- à cette expérience: à la première épreuve on est beaucoup plus douillet qu'à la deuxième: ce qui ne veut pas dire qu'à la dixième on embrasserait avec transport la profession de martyre, et à la seconde on accepte très volontiers une pression sensiblement supérieure à celle qui d'abord semblait à la limite des sensations qu'on tolère de plein gré. Mais il n'y a pas de raisons pour que la sensibilité à la douleur soit chose fixe et constante; elle peut varier chez le même sujet comme elle varie d'un sujet à un autre. En moyenne la femme se tient pour satisfaite -- c'est-à-dire que le désagrément commence -- à 5k, 200; l'homme est plus endurant, et va en moyenne jusqu'à 6k, 600. Encore ne faut-il pas dire qu'il est plus endurant; nous n'en savons rien: peut-être n'est-il que moins sensible, ce qui est tout autre chose. Cet appareil a été imaginé par M. Cattell, professeur à Columbia College.

6. Ici l'on passe à l'étude des aptitudes motrices. Un premier renseignement est fourni par un petit appareil consistant en un interrupteur électrique. Il s'agit pour le suject d'interrompre le courant le plus de fois qu'il peut pendant 15 secondes de suite, en appuyant et relevant alternativement un doigt -- le poignet étant fixé dans une gouttière. Un signal inscrit le nombre des mouvements sur un petit enregistreur. En moyenne le chiffre est de 69, mais il varie beaucoup: pour deux tiers des sujets il oscille entre 57 et 81. On a parfois évalué cette aptitude en comptant les notes que peut jouer un pianiste: mais le système que voici est préférable.

7. Pour connaître l'aptitude du sens musculaire -- dans une de ses applications du moins -- on a ensuite recours à l'épreuve que voici. Sur une feuille de papier de 37 centimètres de longueur posée sur la table, il s'agit de tracer cinq points équidistants. On commence en posant la pointe du crayon sur le bord gauche de la feuille, et on ferme les yeux: puis cinq fois de suite on élève le crayon pour l'abaisser ensuite sur le papier et marquer un point. La sensibilité motrice est donc le seul guide, car la main ne doit point appuyer sur le papier: autrement la sensibilité tactile aiderait à égaliser les déplacements de celle-ci. La divergence moyenne, la différence moyenne des distances séparant les points est de 10,4 p. 100 d'après les expériences faites jusqu'ici, et, faut-il ajouter, dans les conditions qui viennent d'être indiquées, car cette différence peut être plus grande, ou moindre, si l'espacement moyen en quelque sorte imposé par la longueur de la feuille de papier était autre, si l'expérience se faisait avec des feuilles plus étroites ou plus larges. Du moins, cela me paraît vraisemblable.

8. Ici, il s'agit de reproduire des lignes de longueurs données. Le sujet contemple les modèles -- qui ont ap- [p. 626] proximativement 2,5; 5, et 7,5 centimètres de longueur -- tour à tour, une à la fois. Après avoir regardé celle qui lui est montrée, pendant un temps donné, le modèle est caché, et le sujet dessine une ligne ayant -- à son sens -- la même longueur. Puis c'est le tour d'une autre ligne, et enfin de la dernière. La moyenne des reproductions est la suivante:

(0,25) 25,6 mill. et 2/3 des sujets donnent des lignes ayant de 22,5 à 29,5; (0.50) 49,7 mill. et 2/3 des sujets donnent des lignes ayant de 44,5 à 55,5; (0,75) 76,2 mill. et 2/3 des sujets donnent des lignes ayant de 68,0 à 85,5.

9. Pour connaître la mesure dans laquelle le sujet possède un contrôle sûr et une certaine finesse de maniement, dans le domaine musculaire, on prie celui-ci de donner une mesure de son aptitude à viser. Il prend en main un crayon et il s'agit d'aller toucher une petite croix tracée sur du papier à 45 centimètres de distance. Sous ce papier il y a une feuille de papier à décalquer, et une feuille blanche, de sorte que l'inscription du point touché se fait chaque fois, et l'erreur, et le sens de l'erreur sont apparents. L'extrémité inférieure du crayon est entourée d'une sorte de collerette perpendiculaire à son axe, qui fait que le sujet ne voit jamais où porte son crayon, et ne sait s'il a visé juste ou non. L'épreuve se répète dix fois, bien entendu sans dire à celui-ci par où il pèche, ni même s'il pèche.

10. Division de longueurs. On présente au sujet une surface de feutre noir, longue de 40 centimètres, avec trois bandes blanches mobiles: on le prie de diviser la longueur en deux ou trois, les bandes devant servir de séparation, de limites. Pour juger de l'erreur, on fait basculer à côté de la surface une règle de même longueur, cachée jusque-là à la vue du sujet.

11. On revient au sens musculaire. Les deux index sont placés l'un à côté de l'autre, au milieu de la longueur d'un fil de fer: les yeux fermés (ou bien les mains cachées par un écran) il faut écarter les deux mains d'une même distance, en sens inverse, le long du fil: le doigt posé sur un curseur que l'on abandonne, et avec une règle divisée, l'opérateur a vite fait de mesurer la différence: l’écartement est rarement identique pour les deux côtés, mais M. Jastrow ne nous a pas fait connaître le chiffre moyen, normal.

12. Toujours les muscles: mais il faut la coopération de la vue. On présente au sujet un morceau de papier portant cinq petites croix, une au centre, et quatre aux angles d'un carré imaginaire ayant la première pour centre. Il s'agit, partant de la croix centrale, de tracer une ligne droite vers chacune des autres croix; une collerette au bas du crayon empêche encore qu'on ne voie la pointe. Par cette expérience on peut se faire quelque idée de l'aptitude à viser, de la fermeté de la main, et du sens de la direction. M. Jourdain trouverait peut-être que cela fait bien des choses dans un phénomène très insignifiant, mais son maître de philosophie le désabuserait sans retard.

13. Le sujet, qui est patient et plein de bonne volonté, ai-je besoin de le dire (il a payé et veut en avoir pour son argent, quand même cette satisfaction s'accompagnerait de quelque douleur: on n'apprécie réellement que ce qu'on a payé...) le sujet étant peut-être fatigué «quant aux muscles» on va l'éprouver d'autre façon. Il s'agit encore d'apprécier des différences de longueur. On lui fait voir successivement cinq cartes portant chacune une ligne de longueur différente, et une fois qu'il a bien vu les cinq, il a à indiquer l'ordre où il convient de les classer en série ascendante ou décroissante, en marquant 5 la touche qui a fait apparaître la carte portant la ligne qu'il juge la plus longue, et 1, la touche correspondant à la ligne jugée la plus courte. La ligne la plus courte a 5 centimètres de longueur, et les autres vont en augmentant dans la proportion de 1/20. En moyenne il y a 72 personnes sur 100 qui se tirent avec plein succès de cette épreuve, mais à l'expérience suivante, où les lignes ne diffèrent que de un quarantième, la proportion tombe à 35.

14. Nouvelle épreuve sur l'appréciation des longueurs; mais il s'agit de longueurs dans les quatre directions et non plus dans une seule comme dans l'expérience précédente. Le procédé est d'ailleurs très différent. On présente au sujet une feuille de papier portant l'image d'une croix sur un des bras de laquelle se trouve un signe à la distance de 50 millimètres du centre. Il s'agit de tracer un signe sur les trois autres bras, à pareille distance du centre. Les bras de cette croix sont de longueur inégale, et placés asymétriquement, ce qui ne manque pas de troubler un peu plus le sujet. Les erreurs sont mesurées au demi-millimètre près. Si je comprends bien un signe quelque peu cabalistique, l'erreur moyenne est de 4,8 en plus (plus de 9 p. 100): mais on ne dit pas dans quelle direction l'erreur est la plus fréquente ou la plus grande.

15. La quinzième épreuve n'est pas de nature à reposer la cervelle fatiguée du visiteur qui, après 6 ou 8 heures consacrées à visiter l'Exposition, aura l'idée de <<se faire examiner. Avec une barre verticale et deux horizontales (l'une supérieur et l'autre inférieure, et de longueurs inégales) on a formé 25 figures ou dessins différents. Une feuille de papier ayant été divisée en 200 petits carrés, par des lignes croisées, on a reproduit dans chacun des carrés l'une ou l'autre de ces figures, sans ordre déterminé. On montre au sujet l'une de ces figures, dessinée à part: il s'agit ensuite pour celui-ci de marquer sur la feuille aux deux cents carrés toutes les figures qu'il rencontrera, indentiques au modèle, au cours d'un examen qui dure 90 secondes. On tient compte des erreurs et des succès; en moyenne il y a 7,7 succès (4 et 8,5 sont des extrêmes) et 3,4 erreurs (extrêmes 0 et 7,5). Ce qui est mis à l'expérience c'est, en définitive, l'aptitude à percevoir de petites différences de forme et de longueur, et surtout à conserver une image mentale nette. [p. 627]

16. L'épreuve suivante porte sur la rapidité de la perception, et aussi sur sa finesse. Le sujet regarde une plaque noire verticale où tout à coup un volet s’écarte, laissant à découvert pendant un vingtième de seconde un fond blanc sur lequel sont des points noirs, ou des points noirs et rouges, ou des mots, après quoi il se rabat de nouveau. Il faut donner autant que possible le nombre des points (gros comme des pois) et leur couleur, ou pouvoir répéter les mots. Robert Houdin, si je ne me trompe, a raconté quelque part combien l'exercise accroît la rapidité de la perception, et a indiqué des expériences très faciles à faire, dans la rue par exemple, pour s'habituer à saisir d'un coup d'œil le plus de détails qu'il est possible.

17. Nous restons dans le même domaine. Le sujet regarde un écran vertical où défilent derrière un orifice plusieurs cartes portant des mots et des nombres: il faut ensuite écrire tous les chiffres et mots qu'il se rappelle avoir vus, et cela dans l'ordre où ils se sont succédé, si possible. Cette épreuve indique l’étendue de la mémoire, le temps d'exposition étant suffisant pour que la perception se soit faite exactement.

18. Pour éprouver encore la mémoire, le sujet est prié de reproduire la longueur des lignes qu'il a vues dans l'épreuve 8; l'erreur est de même sens et plus grande que dans celle-ci.

19. Le patient arrive devant un petit rideau; celui-ci s'abaisse tout à coup et il s'agit de découvrir aussi vite que possible et de toucher du doigt un bouton blanc, mobile, placé sur un point quelconque d'un secteur représentant le sixième d'une circonférence ayant environ 90 centimètres de diamètre. La chute du rideau opère le déclenchement d'un pendule chronoscopique: en touchant le bouton le sujet arrête net le pendule. Le temps occupé par la recherche de l'objet et le mouvement de la main est mesuré à un centième de seconde près. L'épreuve se répète six fois de suite. Elle indique le temps nécessaire à localiser un objet connu dans un champ donné, et à mettre la main dessus: il y a donc là la mesure d'un processus psychique et d'un processus physiologique à la fois. Cet appareil a été imaginé par M. Fitz, de l'Université de Harvard.

20. Temps de réaction simple au son, à la lumière, au toucher, mesure du temps au bout duquel le sujet indique qu'il a vu un point blanc dans un écran noir, senti un petit coup sur le dos de la main, ou entendu le son d'une cloche. Le début du phénomène met automatiquement en marche un chronoscope, et la réaction arrête celui-ci. La moyenne est de 15 centièmes de seconde pour le toucher, 14 pour le son et 18,5 pour la vue.

21. On complique alors la chose: le sujet doit réagir à chacune de deux excitations possibles par une réaction spéciale: s'il est touché à l'épaule gauche, il réagit de la main droite, et réciproquement, touché à l'épaule droite, il réagit de la main gauche. Moyenne: 30 centièmes de seconde.

22. Nouvelle complication: le choix doit se faire non plus entre deux, mais entre cinq excitations. Le sujet regarde un écran dans un orifice duquel apparaît le chiffre 1, 2, 3, 4 ou 5: pour chaque chiffre il doit toucher un bouton différent. On mesure donc le temps de perception et le temps de choix. Moyenne: 40 centièmes de seconde. Cette épreuve peut être variée, des couleurs pouvant être substituées aux chiffres, et l'appareil peut servir à mesurer le temps nécessaire pour nommer un objet représenté, pour faire une addition, une association, etc. Dans les cas qui précèdent on fait toujours plusieurs épreuves.

23. On montre dix mots courts imprimés: on mesure le temps nécessaire pour les copier tous.

24. Encore dix mots: on mesure le temps nécessaire pour transcrire chacun d'eux tour à tour et écrire un autre mot suggéré par association. En comparant le résultat de cette expérience avec celui de l'expérience précédente, on peut mesurer jusqu'à un certain point le temps que prend l'association des idées.

25. On soumet au sujet une liste de dix mots, ou bien dix images simples. Une fois qu'il a bien vu les uns ou les autres, on lui donne une feuille où se trouvent les mêmes mots ou images mélangés avec d'autres, en proportion triple, et l'on mesure le temps qu'il lui faut pour retrouver et marquer ces mots et images. On complique l'épreuve en lui demandant un peu après d'indiquer sur une feuille contenant les quarante mots ou images, plus vingt nouveaux, ceux qu'il a déjà vus dans l'épreuve précédente. Cette expérience donne quelques indications sur la rapidité de la perception et la vivacité de la mémoire.

26. Enfin viennent plusieurs épreuves destinées à mettre en évidence différentes qualités du sens visuel. C'est ainsi qu'on examine d'abord l'acuité de la vue en lui faisant regarder à cinq mètres de distance une série d'anneaux ou de figures circulaires, dont les uns sont complets et les autres diversement incomplets, étant interrompus ici ou là en un ou plusieurs endroits; il desine ce qu'il voit et par là on juge de l'acuité de sa vue, les anneaux étant de plusieurs séries, de dimensions différentes. Puis il s'agit, à cinq mètres de distance, d'indiquer le nombre de points composant des groupes; les points ont des dimensions variables naturellement. Plus loin, un disque noir porte à sa circonférence vingt-huit taches colorées circulaires, et au centre se trouve une petite fenêtre où l'on peut faire apparaître d'autres taches colorées. Il s'agit d'indiquer quelle est la couleur à la périphérie, qui est identique à la couleur montrée à la fenêtre centrale et par là on met le sens des couleurs l'épreuve, car il n'y a que dix nuances d'une part, et de l'autre vingt-huit, dont dix seulement sont identiques à celles qui apparaissent successivement au centre.

Enfin, neuf nuances de gris, arrangées irrégulièrement sur une planche sont montrées au sujet, chacune por- [p. 628] tant un numéro: le sujet, à qui l'on montre une nuance pareille à l'une des neuf cherche à la rassortir exactement.

Après cette série d'épreuves, qui occupe bien deux heures -- et on n'en sera point surpris -- l'examen est terminé. On remet au sujet une carte où sont portées ses notes -- ses erreurs, -- c'est-à-dire l'indication des mesures obtenues dans chaque épreuve; et, dans les cas où les expériences antérieures permettent de donner un chiffre moyen de quelque constance, ce chiffre est indiqué entre parenthèses -- c'est une carte imprimée de 35 sur 15 centimètres environ -- et, de la sorte, il peut juger s'il est dans la moyenne, ou s'il s'en écarte, dans quel sens il en dévie. Comme ces indications sont conservées en double, chaque expérience ajoute à la somme des documents acquis, et je ne doute point que M. Jastrow et ses collaborateurs n'utilisent les données ainsi recueillies au jour le jour. Les seuls renseignements complémentaires demandés au sujet sont: le sexe, l'âge, le lieu de naissance (et celui des parents), l’état de santé (passé et présent), indiqué par bon, assez bon, médiocre, la profession (et celle du père), l'institution où l'on a fait ses études, et le numéro d'ordre que l'on occupe par rapport aux frères et sœurs.

Telle était l'installation du Laboratoire de psychologie expérimentale. Mais il n'y avait pas que les appareils et expériences dont je viens de parler, pour intéresser le lecteur: on trouvait dans les salles voisines quantité d'appareils de toute provenance pour l'étude de la psychologie physiologique, et je ne pense pas que jamais jusqu'ici, pareille collection ait été mise sous les yeux du public. Tout ce qui a été imaginé, en Allemagne ou en France, aussi bien qu'aux États-Unis, se trouvait réuni là. Il ne saurait être question ici d'entrer dans le détail de l'énumération de ces instruments. Les uns sont connus depuis longtemps, comme tels instruments de Helmholtz, Kœnig, Savart, Hering, Galton, Snellen, Bowditch, Charles Henry; les autres, dus principalement à Elbs, Muensterberg et quelques autres sont décrits dans les publications spéciales, où les intéressés savent qu'il faut chercher. Si j'en veux signaler un particulièrement, ce n'est point qu'il ait rien de bien extraordinaire, mais il a le don d'intéresser beaucoup le public. C'est l'automatographe de M. Jastrow. C'est, au total, une plaque de verre portée sur trois billes en métal, libres et très mobiles par conséquent, se prolongeant en quelque sorte en un petit support portant une pointe verticale; laquelle est mise au contact d'une plaque recouverte de papier noirci, de sorte que tout mouvement de la plaque de verre s'inscrit exactement sur le papier. Le sujet appuie une main sur la plaque de verre, et toute tendance de la main, en quelque sens horizontal que ce soit, se traduit par un mouvement de la pointe sur le papier, qui est caché aux regards par un écran. Avec cet automatographe, M. Jastrow a étudié l'influence de nombre de circonstances extérieures sur les mouvements inconscients de la main, dont il a été si souvent parlé depuis quelques années, -- depuis que Cumberland a en quelque sorte mis la question à la mode par ses expériences à Paris, -- et il a exposé et publié différents graphiques curieux. On voit très clairement par là que les mouvements inconscients s'opèrent dans la direction que prend la pensée. Mettez le sujet devant un métronome en mouvement, en le priant de concentrer son attention sur l'instrument: le graphique consiste en un zig-zag, en une série de pointes vers la droite et vers la gauche, indiquant que le sujet opère des mouvements alternativement centrifuges et centripètes comme le métronome même. Mettez le métronome sur la droite par exemple, à quelque distance; la ligne représentant le mouvement involontaire se dirige vers la droite dans son ensemble. M. Jastrow a eu aussi l'idée de transporter le métronome dans les quatre coins de la pièce successivement, le laissant un même laps de temps dans chacun. Le résultat a été un graphique de forme nettement quadrilatère et quadrangulaire, et, en observant celui-ci tandis qu'ils se produisait, il était facile de voir que, le métronome étant d'abord placé en avant et à gauche, la main tendait en avant en ligne droite; puis, le métronome étant en avant et à droite, il se fit une ligne de gauche à droite perpendiculaire -- dans son ensemble, cela va de soi, car elle est dans les détails irrégulière, avec écarts légers dans toute la direction, -- à la première; puis, l'instrument étant placé en arrière et à droite, la main revint vers le sujet, traçant une ligne parallèle à la première et perpendiculaire à la seconde et, il fut facile de faire achever le quadrilatère en plaçant le métronome en arrière et à gauche, la dernière ligne, perpendiculaire à la troisième et aussi à la première, venant presque joindre celle-ci à son origine. La démonstration est très élégante et, dans plusieurs autres expériences de ce genre, elle a été tout aussi topique. Il convient de rappeler que dans cette épreuve le sujet ne voit jamais l'enregistreur, et que l'expérience a été continue d'un bout à l'autre. Elle n'était guère longue d'ailleurs; le métronome restait 45 secondes dans chacune des quatre positions mentionnées.

Parmi les nombreux documents encore accumulés dans les petites salles de la psychologie, il y avait aussi d'intéressants documents concernant les enfants. Un observateur avait eu l'idée de poser à un grand nombre d'enfants d'âges différents une même question, à laquelle ils répondaient en prenant tout le temps qu'ils voulaient. La question était toujours simple. Elle consistait à demander: <<Qu'est-ce qu'une maison, un chat, une pierre, une rivière, etc? C'était toujours les définitions d'objets ou d'êtres usuels, familiers, qui était demandées. Les réponses étaient curieuses. Elles consistaient en une quantité de faits, et chaque enfant semble avoir eu à cœur de dire tout ce qu'il sait sur chaque objet. Les filles l'emportent nettement sur les garçons, dans ce genre de définitions, [p. 629] et à mesure que l'âge avance (de 6 ans 1/2 à 14 ans) l'amoncellement des détails augmente. La plupart des caractères sont tirés de l'utilité, de l'usage auquel on met les choses, et les définitions philosophiques sont très rares. C'est à mesure que l'âge vient que les définitions véritables deviennent plus nombreuses.

Il est intéressant de voir combien l'étude de la psychologie expérimentale a su réunir d'adhérents, dans un pays où les études de science pure sont chose infiniment rare et où l'on n'apprécie généralement que les entreprises d'utilité directe, privée ou publique. A l'heure qu'il est, il y a une école de psychologie aux États-Unis, jeune encore, mais qui prend chaque jour plus d'importance, et beaucoup d'Universités possèdent des laboratoires auxquels la France n'a presque rien à opposer. Cela est dû principalement à MM. Jastrow et Muensterberg. M. Hugo Muensterberg, professeur à l'Université de Harvard -- que j'ai eu le regret de manquer lors de mon passage à Boston, car j'aurais voulu visiter son installation dont il m'a été dit grand bien, M. Muensterberg disciple de l'école allemande, a créé à Harvard un laboratoire des mieux organisés, à en juger par la liste des appareils qu'il renferme, et par les photographies qui représentent les salles de travail et les expériences en cours. C'est un laboratoire de recherches et d'enseignement à la fois, et les élèves sont initiés par des exercises pratiques à l'art d'employer les instruments mis à leur disposition, avant de se mettre à des recherches personnelles. On les fait généralement opérer un certain nombre ensemble, la plupart des expériences demandant la présence et l'aide de plusieurs personnes. Mais je n'ai pas de données précises sur le temps que dure l'enseignement ni sur les expériences qu'on leur fait faire.

Le Laboratoire de Madison (Université de Wisconsin) ne semble guère le céder pour l'importance du matériel à celui de Harvard: c'est de Madison, je l'ai dit, que venaient la plupart des instruments exposés à Chicago. D'autres universités encore sont pourvus de laboratoires de psychologie expérimentale; telles Brown, Clark, Columbia, Cornell, Illinois, Pennsylvania, Princeton, Torento[sic], Wellesley et Yale, mais je n'ai eu d'autres données sur leurs ressources que les photographies exposées à Chicago.

On peut cependant se faire quelque idée du développement que prennent aux États-Unis les études de psychologie expérimentale en consultant les publications qui y sont relatives. Les États-Unis possèdent deux publications périodiques entièrement consacrées à la psychologie: l'American Journal of Psychology qui compte déja quelques années d'existence, et la Psychological Review qui vient de naître, publiée par MM. Mckeen Cattell et Mark Baldwin, avec la collaboration de plusieurs expérimentateurs connus: MM. Donaldson, Ladd, Muensterberg, James Sully entre autres. Avec tous les laboratoires existants, il n'est pas douteux que ces recueils, tous deux fort intéressants, ne trouvent à s'alimenter en travaux originaux. Il ne faut pas oublier non plus le Monist et l'Open Court, publiés tous deux à Chicago, et qui, par une ironie involontaire sans doute, dans cette ville essentiellement matérielle, ne traitent que de métaphysique. Le Monist a pour directeur M. Paul Carus, et dans son numéro de janvier par exemple je rencontre deux articles de membres orientaux du Parlement des religions, sur l'universalité de la vérité et sur les enseignements fondamentaux du bouddhisme; les autres traitant des connexions entre les philosophies hellène et indienne, de la théorie monistique de l'esprit, de l'unité de la pensée et de l'objet, du monisme, etc. Le Monist reçoit une correspondence régulière de Paris, et publie souvent des articles dus à des Européens: MM. Romanes, A. R. Wallace, Delbœuf, Ferrero, Lombroso, Lloyd Morgan, Binet, etc.

Aux périodiques se joignent quelques ouvrages importants; M. Paul Carus en a publié sur le cerveau et la pensée, et sur les problèmes fondamentaux de la métaphysique; M. W. James a publié, il y a trois ans, un gros et intéressant traité de psychologie; M. Badwin un volume sur l'émotion et la volonté, etc. Tout cela est d'excellent augure et fait présager le développement d'une école philosophique sérieuse et scientifique.