Ce qui fut, ce qui est

L’architecture des hôpitaux à l’ère de(s) la révolution(s), 1970-2001*

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Annmarie Adams
École d’architecture
Université McGill

 

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Hôpital pour enfants malades 1951 et 1990
Les hôpitaux construits durant les trente dernières années sont faciles à reconnaître. Ci-dessus, la même institution : l’Hôpital pour enfants malades tel qu’il était en 1951 et en 1990. Il est évident que quelque chose est intervenu pour que ces deux tours de brique et de verre se distinguent, l’une de l’autre, par des grandes différences. Celles-ci sont surtout notables lorsqu’on considère l’édifice de 1990 par les architectes Zeidler et Roberts (à droite). Ici, le système de circulation de l’hôpital prend la forme d’une épine dorsale entièrement vitrée; la brique, qui paraît comme littéralement accrochée à la charpente, n’a aucune fonction porteuse et les diverses dimensions des fenêtres et leur traitement expriment un zonage fonctionnel. Parmi les différences, la plus remarquable est celle de l’accès piétonnier à l’hôpital : un passage couvert à échelle humaine pensé en fonction du patient en tant qu’individu.

Les connaisseurs d’architecture remarqueront aussi la volumétrie de l’édifice rappelle celle du ziggourat – temple babylonien en forme de pyramide à étages – et ressuscite les débats new-yorkais des années trente quant aux restrictions sur la hauteur des gratte-ciel (à la Hugh Ferriss). Ces références sont sans rapport avec les soins de santé. Elles nous révèlent, cependant, que quelque chose est intervenu entre les dates de construction de ces deux édifices : le postmodernisme.

Piazza d’Italia vue d’ensemble et détail de CM
Les composantes du postmodernisme en architecture sont bien connues (un curieux mélange de néo-conservatisme, de virtuosité high-tech, d’humour et de rappels du paysage quotidien). Bien qu’elles soient sans rapport à la médecine, David B. Morris de l’Université du Nouveau Mexique nous apprend, dans son passionnant article (et livre), que le postmodernisme se manifeste, dans le domaine de la médecine, à travers l’émergence d’un modèle bio-culturel (plutôt qu’un modèle bio-médical) de la maladie.

Quoique Morris ne renvoie pas à l’architecture des établissements de soins de santé en tant que telle, il fait remarquer, cependant, que le terme postmodernisme – avant qu’il ne soit utilisé pour décrire des œuvres dans d’autres domaines – l’a été, pour la première fois, par l’historien de l’architecture Charles Jencks dans une série de livres publiés dans années soixante-dix, et qui ont eu une grande influence. Dans The Language of Post-modern Architecture (1977), Jencks précise que la mort de l’architecture moderne est survenue le 15 juillet 1972 à 15 h 32 à St. Louis lors de la démolition de la cité Pruitt-Igoe construite en 1952. Symbole du nombre croissant des critiques formulées à l’endroit de l’architecture moderne, la démolition de la cité marque le début d’une nouvelle ère « après le modernisme », ère qui se caractérise par des édifices qui conjuguent simultanément plusieurs codes d’expression.

Ci-dessus la Piazza d’Italia, à la Nouvelle Orléans. Construite en 1978-79 par le regretté Charles Moore, c’est un environnement postmoderne patent dont le référent est la culture italo-américaine (nous sommes très loin de Vérone) et dans lequel l’architecte, un des pionniers du postmodernisme, se représente, en effigie, avec un manque typique de modestie.

Disney
Les endroits les plus profondément postmodernes et ceux qui ont été le moins étudiés sont les parcs aménagés par Disney : Disneyland à Anaheim (1955) et Disney World à Orlando (1971). Ces derniers affichent nombre de caractéristiques relevées par Jencks dans sa description des traits particuliers au mouvement : la bigarrure, l’humour, la confusion, le pittoresque et l’ordonné. A cette liste qui existe depuis trente ans j’ajouterais la notion de « déconnexion ». Pour acquérir une signification, l’objet postmoderne doit être délimité physiquement, (et les parcs Disney sont bien délimités par leurs frontières, portes et droits d’entrée très élevés). Mais, outre la délimitation, le sentiment de déconnexion s’installe, de nos jours, aussi à cause des téléphones portables et des caméras vidéo utilisés par les visiteurs (que Disney appelle invités). Autrement dit, bien que nous y soyons pour de vrai, nous n’y sommes pas vraiment. La véritable expérience que nous faisons de l’architecture postmoderne nous la faisons toujours après coup, c’est-à-dire lorsque nous regardons des photos des édifices assis dans un environnement de notre choix.

Hôpital pour enfants malades : carte-postale de l’entrée et du hall d’entrée
Mais revenons à l’ici et maintenant. Dans la conférence que je vais prononcer, je viserai trois objectifs : (1) Explorer, à la lumière de l’architecture actuelle des hôpitaux, le concept d’hôpital aux vingtième siècle. (2) Démontrer que l’architecture postmoderne des hôpitaux est plus réactionnaire que révolutionnaire – La plupart des idéaux exaltés par les planificateurs d’hôpitaux aujourd’hui – des espaces plus généreux pour les patients externes, souplesse, accessibilité et confort – font écho aux notions avancées dans les années vingt et trente, et même avant. (3) Soutenir que, de façon générale, le changement dans l’architecture des hôpitaux est conditionné par la culture beaucoup plus qu’il ne l’est par la médecine. Ci-dessus se trouvent deux autres images de l’Hôpital pour enfants malades de Toronto – cette fois ce sont deux carte-postale et non un dessein – montrant la succession des espaces d’accès et l’intérieur assez monumental de l’atrium, décoré de cochons volants.

Schémas représentant trois types et photo aérienne récente de l’Hôpital Royal Victoria
Une démarche qui conjugue l’histoire de l’architecture et une exploration de la situation actuelle des hôpitaux et de leur histoire sur une période de mille ans, comme le propose si ambitieusement ce colloque, permet, mieux que toute autre, d’esquisser une explication du développement de l’architecture des hôpitaux au vingtième siècle, ou de ce qui est illustré ci-dessous à gauche : le moderne (1945), le Moderne (1945-1970) et le postmoderne (1970-à ce jour). Par opposition à cette démarche, je citerai celle notamment de John D. Thompson et de Grace Golden dans The Hospital : A Social and Architectural History (1975) dans laquelle les auteurs sautent du plan pavillonnaire des édifices de Johns Hopkins en 1888 aux méga-hôpitaux gratte-ciel des années trente.

Ma façon de comprendre les changements est ironiquement inversée par rapports à celle des architectes postmodernes. Alors que ma compréhension du présent est éclairée par le passé, leur compréhension du passé est éclairée par le présent. Autrement dit, les recherches que j’ai effectuées en tant qu’historienne de l’architecture enseignant dans une école d’architecture, portent sur les hôpitaux du début du vingtième siècle et, en particulier, sur les hôpitaux des années vingt. Ces hôpitaux ont bien plus l’allure de châteaux écossais et de demeures géorgiennes qu’ils n’ont l’apparence de ce que nous imaginons être un hôpital. Le livre que je suis en train de terminer examine la période 1893-1943 et s’intitulé Making Modern Medicine : An Architectural History of the Canadian Hospital : 1893-1943. D’ailleurs, une grande partie de ce dont je traite aujourd’hui, est extraite de l’épilogue du livre. Pour élaborer mes idées sur l’évolution de l’architecture des hôpitaux, je me suis inspirée de l’Hôpital Royal Victoria de Montréal, (originellement conçu par Henry Saxon Snell en 1893), un édifice qui affiche les trois périodes de l’architecture des hôpitaux au vingtième siècle et dont une vue aérienne est présentée ci-dessus à droite.

L’hôpital de Sesame Street et photo d’une démolition à Calgary
Dans bien des cas, le destin des hôpitaux construits de 1945 à 1970 a été le même que celui de la cité Pruitt Igoe. Ils ont été démolis. À droite ci-dessus, une photo de la démolition de l’Hôpital général de Calgary en 1998. C’était une tour moderne conçue en 1953 par Sommerville, McMurich et Oxley, et, à gauche, l’hôpital de Sesame Street. Ce dernier n’est pas menacé de démolition, mais le programme risque d’être retiré des ondes. Donc, une deuxième question à laquelle cette intervention tentera de répondre est celle de savoir pourquoi, aujourd’hui, les édifices hospitaliers des années vingt sont considérés dignes de conservation et de réutilisation alors que ceux des années cinquante et soixante ne le sont pas.


*Les idée présentés dans cette communication sont puisées dans les résultat de plusieurs projets de recherche, et, notamment, Medicine by Design : A Hospital for the 21st Century, projet subventionnés par les Instituts canadiens de recherches sur les soins de santé (ICRSS) et Making Modern Medicine : An Architectural History of the Canadian Hospital : 1893-1943, mon ouvrage à paraître, subventionné par une bourse du FCAR et L’Institut Hannah pour l’histoire de la médecine. Pour les deux projets j’ai eu comme assistant David Theodore.