Herman et Herbert:

le champ de forces Frye-McLuhan

(c) 1999, Vera Frenkel

Vera Frenkel est artiste multidisciplinaire.
Elle habite ˆ Toronto.

Le texte qui suit a été lu pour la première fois le 4 septembre 1997, à Kassel, dans le cadre du Colloque Konfigurationen: Zwischen Kunst und Medien à la séance consacrée à La question de l’art et de la place des médias. Depuis, il a été lu, dans des versions chaque fois révisées, le 21 octobre 1990, au Coach House Festival, dans le cadre du Programme McLuhan, le 15 mars 1999, à SUNY, Buffalo, dans le cadre du Programme d’études femmes et genre et, au printemps 2001, à l’Institut national des arts de Hamilton.

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EXCERPT:

…. Il aurait été impensable qu’une jeune personne s’intéressant aux arts et vivant à Toronto dans les années 60 de 70, ignore la présence, dans cette ville, de Herman Northrop Frye, le grand critique littéraire, qui, dans des ouvrages comme Anatomie de la critique (The Anatomy of Criticism), Le grand code (The Great Code) et The secular scripture (non traduit) a étudié et expliqué le rôle formateur que jouent, dans nos vies, les mythes et leur structure et comment nous les reproduisons de façon programmée; et celle de Herbert Marshall McLuhan, l’homme que l’on appelle le penseur pop des médias, auteur de La galaxie Gutenberg (The Gutenberg Galaxy), Pour comprendre les médias (Understanding Media), The Medium is the Massage (non traduit) et dont les bruyants acolytes gravitaient autour du vieux Coach-House sur Queen Park Crescent, où était son quartier général.

Fry et McLuhan, Herman et Herbert, constituaient les deux pôles jumeaux de la réflexion intellectuelle qui imprégnait la vie d’une ville par ailleurs puritaine, où, à la Régie des alcools de l’Ontario, il fallait indiquer, sur un formulaire, ses nom, adresse et numéro de téléphone, avant qu’on ne consente à vous vendre une bouteille de vin.

Bien que la gravité de Fry et l’amour de McLuhan pour l’acrobatie verbale, ne fassent plus partie de notre réalité quotidienne la présence de l’éléphant et de la puce, du lion et la de licorne, de Henry James et de H.G.Wells, hante encore l’espace que chacun a habité, au propre et au figuré, dans différents coins de la ville. Mais, et Victoria College et The Coach House, chacun de son côté, sont peuplés différemment de nos jours, et une femme peut avoir une pratique artistique même en utilisant (ou parce qu’elle utilise) les nouveaux médias, sans qu’elle se sente comme une intruse sur le terrain d’une autre espèce. À l’époque, travaillant sans précurseurs, sans maîtres et sans manifestations visibles de projets partageant mes intérêts, je me suis retrouvée à réaliser des projets centrés sur la nature de l’absence, ce qui n’a, peut-être, rien d’étonnant.

EXCERPT 2:

…. En passant très rapidement d’alors à aujourd’hui, je vous prie de faire maintenant la connaissance des jeunes hommes avec qui je travaille parfois et qui sont esclaves des rêves de cybersexe et fascinés par le fantasme de la puissance des médias. Je les entends discuter, savamment et sérieusement, la possibilité de relations intimes virtuelles avec telle ou telle célébrité bien roulée tandis que d’autres, qui pratiquent un art pour les galeries et débattent d’une prétendue nouvelle mort et renaissance de la peinture, me perçoivent et les perçoivent avec méfiance.

Située dans le temps et dans l’espace entre ces deux confréries, d’un côté le champ de forces Herman-Herbert avec son univers de passion intellectuelle et, de l’autre, le fantasme des jeunes hommes d’aujourd’hui de séduire une Marilyn Monroe virtuelle et leurs discours savants sur le cyberespace, j’ai été protégée par la curieuse double invisibilité qui fait partie du lot d’être femme et canadienne, quelqu’un qui, pour ainsi dire, n’était pas sur la carte, n’avait pas d’attentes à satisfaire et donc pas de règles à suivre. Je me suis donc retrouvée à travailler avec les notions enchâssées dans les genres de la littérature populaire et véhiculées par eux – le roman à l’eau de rose et le polar – parce qu’ils me donnaient le moyen d’explorer les questions qui m’intéressaient.

(PROJECTION : extraits de Signs of a Plot: A Text, True Story & Work of Art et de The Secret Life of Cornelia Lumsden: Her Room in Paris. )

Dans l’air que j’avais respiré auparavant, à Montréal, persistait, entre autres, deux générations plus tard, l’aura des célèbres expériences réalisées en physique des particules par Rutherford à l’Université McGill, mon alma mater. Des nouvelles arrivaient d’en haut de la rue, de l’Institut neurologique de Montréal, annonçant l’identification, par Wilder Penfield et Donald Hebbe, du lieu précis dans le cerveau où sont emmagasinées ces structures que nous appelons les composantes du langage; et des idées du biologiste Desmond Morris, qui depuis a publié un livre peu intéressant intitulé Le singe nu, mais, qui achevait alors une thèse de doctorat d’une plus grande rigueur intitulée La biologie de l’art. Ayant trouvé dans le règne animal des preuves infirmant l’hypothèse que la création artistique était la quintessence de l’humain, il y présentait les résultats de ses recherches de terrain sur les différences entre chimpanzés artistes et non artistes.

D’autres expériences de l’époque laissaient entendre qu’on pouvait observer chez les chimpanzés et les orangs-outans non seulement le procès d’invention d’une culture, mais encore leur capacité de transmettre des comportements inventés à d’autres membres de leur bande. L’anthropologue Margaret Mead, une des seules femmes, avec Ruth Benedict, dont les travaux étaient largement diffusés à l’époque, persévérait dans ses travaux et obtenait des résultats intéressants malgré la raillerie de ses collègues mâles. (À l’heure actuelle, tous ses travaux sont en train de subir une nouvelle phase posthume, celle de la remise en question.) Entre d’autres choses, Mead étudiait la « handedness », la position ouverte ou fermée des mains pour porter les nouveau-nés, en tentant d’établir un rapport entre ce comportement et les mentalités culturelles de la société qui semblaient le reproduire ou le produire. Michael Polanyi analysait le rapport homme-machine et écrivait dans la revue Science des articles sur des systèmes de double contrôle. Enfin, à l’Expo 67, à Montréal, la nation atteignait sa maturité et la présence internationale qui y était accueillie nous encourageait dans l’idée que toutes ces frontières pouvaient être et seraient traversées sans effort.

En quelque sorte, c’est en traçant les frontières séparant l’humain et l’animal, l’homme de la machine, que ces frontières se sont dissoutes conceptuellement et que la création artistique s’est intégrée dans un continuum encore plus multidirectionnel que ce à quoi je m’attendais en croyant au mythe de l’artiste-martyr-héros véhiculé par la campagne de recrutement qui, à l’origine, m’avait embrigadée dans une pratique d’atelier.

 

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