Nous publions ici deux extraits de la passionnante conférence prononcée par Irit Rogoff. Cet événement a eu lieu dans le cadre de la semaine inaugurale de l’Institut - Hamilton et fait partie du programme des conférences publiques.

« Comment s’habiller pour une exposition »

Irit Rogoff

Directrice du programme Cultural Theory
Goldsmiths College, Université de Londres

« Le plaisir de ressembler et de reproduire donne lieu, à la fois, à une assurance psychique et à une fétichisation politique. La représentation reproduit l’Autre comme Même. La performance, dans la mesure où nous acceptons qu’elle est un médium de représentation sans reproduction, peut servir de modèle à une autre économie de la représentation, une économie sans certitude que l’Autre sera reproduit comme Même. » (Peggy Phelan, Non-identifiéé)

Excerpt 1:

…Par un après-midi new-yorkais ensoleillé, je suis allée avec mon amie Abigail et ma sœur Daria voir l’exposition « Black Male » (Mâle noir) au Whitney Museum of American Art.

Pour vous situer, l’exposition explorait la rencontre de la négritude, des masculinités et de la représentation, dans divers médias, allant des hauteurs vertigineuses de la peinture sur toile aux bas-fonds des publicités pour les articles de sport. Thelma Golden était la commissaire de l’exposition laquelle était accompagnée d’un catalogue savant dans lequel de nombreux écrivains, critiques et analystes afro-américains débattaient de la question cruciale de la présence/absence de masculinités noires dans la culture des États-Unis.

L’exposition était gigantesque, plus de 60 artistes chacun présentant plusieurs œuvres. Au bout d’une heure la simple taxonomie du projet a commencé à m’importuner. J’avais le sentiment d’avoir, devant moi, toutes les images imaginables qui ont jamais été peintes, dessinées, sculptées, photographiées, vidéographiées, numérisées et ainsi de suite. Je tolère mal les bombardements encyclopédiques. Donc, j’ai tourné mon regard des œuvres vers les spectateurs.

Le premier plaisir était de voir tant d’hommes noir au Whitney – c’est rare que l’on voie des hommes noirs dans les grands musées des États-Unis. Il arrive que l’on y rencontre des femmes noires de classe moyenne qui s’intègrent à l’économie, en tant qu’agent féminin, en faisant acquisition de capital culturel. Mais, en cet après-midi dominical, au Whitney, des centaines d’hommes noirs étaient profondément concentrés sur l’exposition. L’autre plaisir était de constater le bon goût sensationnel des tenues de ces spectateurs noirs. Le spectre de la diversité des tenues était grand. Il allait de la tenue traditionnelle de la tribu Kanti – calotte et boubou flottant – au complet Armani en passant par les tenue de sport très élaborées et méticuleusement assorties, par le cuir noir qu’affectionnent les gays et par les robes moulantes et les maquillages extravagants des travestis.

Chaque tenue était pensée du début à la fin, la présentation était parfaite et le placement du spectateur, stratégique. Le troisième plaisir était celui de sentir la profonde concentration avec laquelle étaient lus le grand nombre de textes longs et complexes qui tenaient un rôle essentiel dans l’exposition. Tous ces spectateurs exceptionnellement bien vêtus lisaient les textes de façon presque idéale en prêtant la plus grande attention au moindre détail.

Du coup, je me suis rendue compte que par un mélange complexe de stratégies vestimentaires spontanées, les spectateur sont devenus l’exposition comme par un mouvement de transposition du sujet de celle-ci.

Je voudrais profiter de cette occasion pour vous faire part d’une réflexion théorique sur la participation dans le cadre des histoires marginalisées et des politiques des cultures émergentes.