Le Réseau de recherche en 
formation et travail 
The Labour Education and

Training Research Network

Un modèle de pratique de formation destinée aux jeunes à risque d’exclusion : le CIFER-ANGUS

— Étude de cas —

 

 

Sylvain Bourdon et Frédéric Deschenaux

Université de Sherbrooke

 

Il y a un certain nombre d’initiatives visant à donner une nouvelle occasion aux jeunes à risque d’exclusion d’acquérir les qualifications nécessaires à leur insertion professionnelle. Une de ces initiatives communautaire est celle du Centre intégré de formation et de recyclage CIFER-ANGUS.

Le CIFER est une entreprise d’insertion spécialisée dans le recyclage d’ordinateur. Il est une véritable unité de production soumise à de réelles contraintes de marché. Les pratiques de formation ont ainsi évoluées rapidement, à partir de pratiques beaucoup plus formalisées et magistrales, vers une prépondérance des activités informelles à mesure que les intervenants ont réalisé que les apprentissages pouvaient être effectués par la pratique, en minimisant le nombre d’heures passées en salle de formation. C’est d’ailleurs par le biais d’une offre d’emploi, plutôt que par une offre de formation, que se fait le recrutement des jeunes stagiaires.

De l’aveu de la directrice, l’accent mis sur la pratique afin de soutenir l’intérêt des jeunes, s’il s’avère positif pour leur apprentissage, a été ardu à appliquer pour les membres du personnel pour qui formation rime trop souvent avec apprentissage magistral, en classe. L’énergie nécessaire à transformer ces pratiques a été déployée sans hésitation, car le CIFER désire d’abord et avant tout fonctionner comme une entreprise et non comme un lieu de formation et encore moins comme une école.

Le séjour des participants à CIFER est de six mois au maximum au cours desquels ils sont rémunérés pour trente-cinq heures par semaine au salaire minimum. Au cours des premiers mois, en plus des trente heures de formation formelle, les participants font une rotation entre tous les postes de l’entreprise. Après cette période initiale, ils sont assignés à un poste spécifique, en fonction de leurs goûts et de leurs habiletés. Au cours des trois dernières semaines de leur séjour, les jeunes sont supervisés pour faire de la recherche d’emploi, démarche faisant partie intégrante du processus de formation. Un suivi plus formel et approfondi, s’il serait peut-être bénéfique, doit s’arrêter à ce point, les bailleurs de fonds ne permettant pas de reprendre en stage un jeune qui a déjà bénéficié des services de CIFER.

Le fait qu’au terme du processus, la plupart des jeunes décrochent un emploi qui n’est pas nécessairement lié au domaine de l’informatique, est perçu par les intervenants de CIFER comme un indice de transférabilité des compétences acquises. Paradoxalement, le fait de suivre cette formation adaptée à leurs besoins, parce que dynamique et fortement axée sur la pratique, conduit environ le quart des jeunes à un retour aux études.

Actuellement, le CIFER a un lien de partenariat avec la commission scolaire et avec le cégep. Ensemble, ils ont travaillé sur un projet-pilote visant à développement des passerelles entre l'insertion et le secondaire en cherchant à trouver une façon de faire pour arriver à faire reconnaître, comme métier semi-spécialisé, l'apprentissage effectué au Centre. Ce projet tarde à se concrétiser, en raison, entre autres, des délais requis pour l’élaboration et la reconnaissance de nouvelles formations par le milieu scolaire.

Une des plus importantes sources de précarité pour l’organisme est d’ordre financier. Par exemple, le domaine du recyclage d’ordinateur est moins lucratif que celui de l’assemblage d’ordinateurs neufs. Toutefois, il permet aux jeunes de faire de grands apprentissages, souvent transférables, qui ne pourraient être faits en travaillant dans le neuf. De plus, ce créneau évite de mettre l’entreprise en concurrence avec le secteur privé, une caractéristique essentielle de son inscription dans l’économie sociale.

D’autres contraintes sont induites par la provenance du financement de l’organisme. En effet, le programme de formation du CIFER est financé par Emploi-Québec, plus précisément par le biais de la mesure «Préparation à l'emploi», qui tend de plus en plus à réduire ses allocations et à privilégier des formations courtes destinées aux individus au seuil de l’accès à l’emploi. Le reste du financement est obtenu par le biais du Fonds de lutte à la pauvreté, ce qui impose des contraintes dans la sélection de la clientèle, car les participants doivent être admissibles au Fonds pour que leur salaire soit subventionné.

Une partie du succès de CIFER tient à l’implantation dans un créneau original de l’économie sociale qui permet une part importante d’auto-financement tout en demeurant en marge de l’économie marchande. À cela s’ajoute un ciblage serré de la clientèle, pas trop problématique et tout de même assez loin du marché de l’emploi.

Une part importante de sa réussite et imputable au caractère hautement médiatisable. Cette caractéristique est probablement le talon d’Achille de ce modèle quand vient le temps de son implantation massive et plus généralisée. Il n’y a tout simplement pas de place ni de pertinence pour une centaine de modèles du genre aux yeux des politiques. D’autant plus que cette initiative nécessite, pour fonctionner efficacement, des investissements et un fonds de roulement importants qui peuvent apparaître élevés, mais qui sont probablement, à l’heure actuelle, le vrai prix à payer pour assurer à tous les citoyens la place qui leur revient.