Le Réseau de recherche en 
formation et travail 
The Labour Education and

Training Research Network

  

La formation et le développement des compétences:

Qui en profite?

 

Nancy Jackson, Université McGill, Montréal, Canada

Steven S. Jordan, Université de Canterbury,

Nouvelle-Zélande

La montée du néo-libéralisme a créé des contradictions communes dans la politique de la formation en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Canada et en Grande-Bretagne. Un consensus plus ou moins apparent entre les entreprises, la main d’oeuvre et les individus est né autour de la notion que le « développement des compétences » encouragerait la productivité, la concurrence et la prospérité pour tous. En pratique, ces groupes vivent des expériences plutôt différentes et ont parfois même des intérêts contradictoires au niveau de la structure et des objectifs de la formation.

Dans le passé, ces intérêts ont joué un rôle clé pour les syndicats, leur permettant d’obtenir des programmes de formation pour leurs membres et d’en façonner les modalités, surtout au niveau de l’apprentissage. Mais de récentes réformes, qui promettent de rendre la formation plus réceptive aux besoins de l’industrie, réduisent de façon importante l’influence des syndicats. Le résultat : les avantages dont bénéficient les individus au niveau de la formation sont perdus et ce sont les employeurs qui en tirent profit. Cette tendance peut être observée dans deux domaines différents dont l’influence se fait sentir un peu partout – la formation en apprentissage et la formation « douce » pour les communications sur le lieu du travail.

Cela fait presque deux décennies que les réformes de l’apprentissage se manifestent dans les pays industrialisés dans le but général d’encourager une plus grande flexibilité de la main d’œuvre. Cette tendance mène à des stages d’apprentissage plus courts qui conduisent à des certificats d’une envergure plus limitée. Certes, ces changements rendent l’apprentissage plus accessible, mais ils mènent également à des emplois beaucoup moins bien payés et à un pouvoir restreint sur le lieu du travail. Par conséquent, ce qu’on entend par apprentissage ne veut plus dire la même chose.

Dans le cas de l'Australie, la réforme des programmes d'apprentissage a fait l'objet d'une initiative stratégique du gouvernement fédéral libéral / coalition nationale, élu en 1996. Ces nouveaux programmes d'apprentissage possèdent un certain nombre de caractéristiques observées dans l'agenda politique néo-libéral dont le programme unifié et dégraissé est censé convenir à 80% du marché du travail. Les nouveaux programmes d'apprentissage suivent la tendance internationale de formation écourtée, de formules de certificats d'envergure limitée et d’une réduction de l'autonomie au travail. Ces changements à eux seuls veulent dire que les nouveaux programmes d'apprentissage répondent moins bien aux besoins des syndicats et de leurs membres qui eux misent sur les salaires élevés, la sécurité d'emploi et le pouvoir et l'autorité au travail.

Ces mêmes changements rendent les nouvelles formules d'apprentissage plus attrayantes aux industries. Les employeurs s'attendent à bénéficier des salaires réduits en employant les diplômés de ces programmes. Mais ils en profitent dès le départ avec des subventions financières pour l'embauche des apprentis, des subventions de salaire quand les apprentis sont inscrits aux programmes, des primes d'embauche pour leurs apprentis basées sur des accords en entreprise, une promesse d’accès à des programme faits sur mesure avec un choix de fournisseurs de formation dans le public ou le privé et un système administratif dégraissé. Collectivement, ces changements dans l'organisation des programmes d'apprentissage offrent plusieurs avantages aux industries, à court terme et à long terme. Voilà l'essence de cette « receptivité aux besoins ».

Quand il s'agit de formation « douce », les problèmes se manifestent plus subtilement mais la tradition d'intérêts différents demeure. Cette formation « douce » s’applique aux techniques de communication et de résolution de problèmes qui sont maintenant partout utilisées pour soutenir l'introduction du travail d'équipe ainsi que d'autres formes de réorganisation du travail "flexible" et de "haute performance" . Là aussi, la communication entre employés est un terrain traditionnellement valorisé et protégé par les syndicalistes qui veulent créer un sentiment de solidarité chez les employés et encourager une volonté collective qui résiste à des pratiques de travail injustes ou dangeureuses. Par conséquent, les traditions de culture « d’employés » (surtout dans les milieux syndiqués) ont créé une vision des intérêts de l’employé séparée et distincte de ceux de l’employeur.

La formation douce a comme but explicite de renverser cette situation afin d’assurer que les employeurs, et non les travailleurs ou les syndicats, profitent de la culture « d’employés ». Les compétences de communication et de résolution de problèmes sont spécialement redéfinies commes des compétences qui permettent aux membres d’une équipe de vaincre leur résistance individuelle ou collective et de soutenir et encourager les buts et les termes du travail tels qu’ils sont définis par l’employeur. Cette mutation nous montre clairement la façon dont les redéfinitions du concept de « compétences » jouent un rôle essentiel dans le processus de réforme.

Autrement dit, le concept de « compétences » est loin d’être neutre. On le manipule dans le but de restructurer les éléments du travail que les employeurs veulent davantage contrôler. Et ce consensus général dont les décisionnaires aiment se vanter se forge selon des termes qui sont certes réceptifs à l’industrie, mais ce aux dépens des travailleurs et des travailleuses.