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Qu’est-ce que le populisme ?

Dans les commentaires politiques, le journalisme et la critique, il est courant de voir dans le populisme un terme péjoratif, presque synonyme de démagogie et de propagande. D’autres fois, il est utilisé (à tort) pour décrire les politiciens qui poursuivent ce qui est « populaire », plutôt que de suivre un ensemble de valeurs ou de principes. Malgré cette confusion, il existe un large consensus au sein de la littérature scientifique sur la définition de ce terme.

Il existe trois approches principales pour définir le populisme, la plus courante étant l’approche idéologique. Selon le principal défenseur de l’approche idéologique, le politologue néerlandais Cas Mudde, le populisme est une « idéologie mince » qui divise le monde en deux : le peuple « pur » contre l’élite « corrompue ».[i] En tant qu’ « idéologie mince », le populisme doit être associé à une idéologie « complète » (par exemple, le conservatisme, le socialisme, le fascisme, etc.) pour prendre tout son sens et varie donc considérablement dans la manière dont il est déployé. C’est pourquoi on peut dire que des politiciens aussi différents que Bernie Sanders et Donald Trump embrassent des répertoires populistes ; bien que presque tous les éléments de leurs programmes diffèrent, ils partagent tous deux un discours manichéen (à des degrés divers) qui oppose le peuple aux élites.

Les autres approches principales qui définissent le populisme sont l’approche politico-stratégique et l’approche performative-stylistique. En bref, la première souligne le rôle de l’organisation politique et considère le populisme comme une technique par laquelle un « leader personnaliste » recherche le pouvoir politique en établissant un lien avec ses partisans d’une manière « directe et sans intermédiaire ».[ii] La seconde conçoit le populisme comme un style de leadership grâce auquel les politiciens et les activistes s’attirent le soutien des masses mécontentes.[iii] Les partisans de cette approche soulignent que le populisme implique un « étalage de la bassesse », c’est-à-dire une performance politique « grossière », « mal élevée » et « moins sublimée », qui produit une identification entre le « peuple » et le leader populiste, ainsi qu’un antagonisme contre l’élite et la « haute ».[iv]

Populisme de gauche

Le « populisme de gauche » est le plus souvent associé aux travaux des penseurs post-marxistes Ernesto Laclau et Chantal Mouffe. Leur théorie a encouragé les marxistes à regarder au-delà de la lutte des classes sur le lieu de travail et à s’intéresser aux nouveaux mouvements sociaux, tels que les mouvements féministes, antiracistes et antiguerre.[v] L’objectif d’un populisme de gauche, dans le langage de Laclau, est de construire une « chaîne d’équivalence » discursive entre les griefs de tous ces groupes, de sorte qu’ils sont interpellés comme un « peuple » unifié et qu’une « frontière » est construite entre le « peuple » et les élites qui s’opposent à leurs diverses demandes de justice sociale.[vi]

Plusieurs mouvements et partis sociaux de gauche ont explicitement cherché à mettre en œuvre les théories de Laclau et Mouffe, notamment le mouvement des Indignados et le parti Podemos en Espagne, ainsi que le kirchnerisme en Argentine. Le populisme de gauche se manifeste également dans des mouvements comme Occupy Wall Street, avec son slogan « Nous sommes les 99 % », et dans le parti travailliste britannique sous la direction de Jeremy Corbyn, dont le manifeste de campagne de 2017 s’intitulait For the Many, Not the Few.

Populisme de droite

Bien que le populisme, en tant qu’ « idéologie mince », puisse être de gauche ou de droite, le terme est le plus souvent associé à une discussion sur le « populisme de droite ». Le populisme de droite se distingue par l’utilisation d’une troisième catégorie — les « Autres » — en plus du peuple et de l’élite.[vii] Le populisme de droite est donc décrit comme ayant une structure « triadique »[viii] dans laquelle le peuple est menacé à la fois « d’en haut » par les élites et « d’en bas » par des « Autres » infâmes.[ix]

Les « Autres » infâmes du populisme de droite changent dans le temps et l’espace, mais ils sont toujours « clairement subalternes sur le plan social », ce qui signifie qu’ils appartiennent à des groupes opprimés, exploités, marginalisés et/ou politiquement contre-hégémoniques, comme : les minorités religieuses, les immigrants, les réfugiés, les personnes de couleur, les personnes homosexuelles, les féministes, les écologistes, etc.[x] Par conséquent, étant donné sa fixation sur l’altérité, le populisme de droite, dans ses différents contextes nationaux, est souvent (mais pas toujours) nativiste/xénophobe, c’est-à-dire hostile aux personnes nées dans d’autres pays. Le nationalisme du populisme de droite — en particulier celui des acteurs politiques d’« extrême-droite » — n’est donc pas civique, mais excluant, et est donc parfois qualifié d’« ultranationalisme ».

L’extrême droite et le « courant dominant »

L’extrême-droite est souvent (mais pas toujours) populiste et est le plus souvent considérée comme un « terme générique » qui englobe à la fois les formes radicales et extrêmes de la politique de droite.[xi] Ces politiques se distinguent des autres formes de politique de droite par leur opposition aux valeurs et aux procédures de la démocratie libérale.[xii] Alors que la droite radicale s’oppose aux valeurs fondamentales de la démocratie libérale — comme les droits des minorités, l’égalité politique, la primauté du droit et la séparation des pouvoirs — la droite extrême/fasciste s’oppose à la fois à ces valeurs et et aux procédures essentielles de la démocratie, comme des élections libres et équitables et le transfert pacifique du pouvoir.[xiii]

Le fascisme est le plus souvent défini comme une « forme palingénésique d’ultranationalisme populiste », c’est-à-dire une idéologie fondée sur le renouvellement ou la renaissance de la nation exclusive sur les plans racial, culturel ou religieux.[xiv] Alors que la droite radicale tente cette renaissance dans les limites des procédures démocratiques, le fascisme cherche à se débarrasser complètement de la démocratie. Cela dit, le fascisme se déguise souvent en démocratie, ce qui signifie que, dans la pratique, la frontière entre la droite radicale et le fascisme est souvent difficile à discerner, même pour d’éminents universitaires.[xv]

Ce problème est encore aggravé par une tendance croissante connue sous le nom de « généralisation », dans laquelle les partis d’extrême droite rencontrent un succès croissant dans le monde entier et les idées et politiques d’extrême droite sont de plus en plus reprises par des partis « conservateurs » ostensiblement traditionnels, ce qui pose un problème pour l’application de ces distinctions taxonomiques.[xvi] En effet, c’est en grande partie ce processus d’intégration qui est à l’origine de l’explosion de l’intérêt pour le populisme, au Canada et dans le monde entier.


[i] Cas Mudde, “An Ideational Approach,” The Oxford Handbook of Populism, 2017, 27.

[ii] Kurt Weyland, “Populism: A Political-Strategic Approach,” in The Oxford Handbook of Populism, ed. Cristóbal Rovira Kaltwasser et al. (Oxford University Press, 2017), 48–72.

[iii] Benjamin Moffitt, The Global Rise of Populism: Performance, Political Style, and Representation (Stanford University Press, 2016).

[iv] Pierre Ostiguy, “Populism: A Socio-Cultural Approach,” in The Oxford Handbook of Populism, ed. Cristóbal Rovira Kaltwasser et al. (Oxford University Press, 2017), 73–97.

[v] Ernesto Laclau and Chantal Mouffe, Hegemony and Socialist Strategy: Towards a Radical Democratic Politics (Verso Books, 1985), 2; Chantal Mouffe, For a Left Populism (Verso Books, 2018), 1–3.

[vi] Ernesto Laclau, On Populist Reason (Verso, 2005), 37–39.

[vii] Ruth Wodak, “The Trajectory of Far-Right Populism–A Discourse-Analytical Perspective,” in The Far Right and the Environment: Politics, Discourse and Communication (Routledge, 2019), 26.

[viii] Matthew Lockwood, “Right-Wing Populism and the Climate Change Agenda: Exploring the Linkages,” Environmental Politics 27, no. 4 (2018): 713–14.

[ix] David Neiwert, Alt-America: The Rise of the Radical Right in the Age of Trump (Verso Books, 2017), 4; Marco Revelli, The New Populism: Democracy Stares into the Abyss (Verso Books, 2019), 15.

[x] Ostiguy, “Populism: A Socio-Cultural Approach,” 77; Carol Johnson, Steve Patten, and Hans-Georg Betz, “Identitarian Politics and Populism in Canada and the Antipodes,” Movements of Exclusion: Radical Right-Wing Populism in the Western World, 2005, 86.

[xi] Andrea LP Pirro, “Far Right: The Significance of an Umbrella Concept,” Nations and Nationalism 29, no. 1 (2023): 101–12.

[xii] Elisabeth Carter, “Right-Wing Extremism/Radicalism: Reconstructing the Concept,” Journal of Political Ideologies 23, no. 2 (2018): 157–82.

[xiii] Cas Mudde, The Far Right Today (John Wiley & Sons, 2019), 30.

[xiv] Roger Griffin, The Nature of Fascism (Routledge, 1993), 32.

[xv] Roger Griffin, “Ghostbusting Fascism?: The Spectral Aspects of the Era of Fascism and Its Shape-Shifting Relationship to the Radical Right,” Fascism 11, no. 1 (2022): 59–86.

[xvi] Katy Brown, Aurelien Mondon, and Aaron Winter, “The Far Right, the Mainstream and Mainstreaming: Towards a Heuristic Framework,” Journal of Political Ideologies, 2021, 1–18.